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Tram-train de Lacanau : un projet qui déraille

Le projet de tram-train de Lacanau est à la fois une mauvaise idée et un projet mal pensé. Une mauvaise idée d'abord car ce projet fait le pari de l'aggravation de l'étalement urbain alors que l'heure est plutôt à la prise de conscience des impacts négatifs de ce phénomène qui touche la Métropole depuis des décennies. Un projet mal pensé ensuite tant les contraintes techniques n'ont pas été anticipées : les rails du tram bordelais ne permettent pas la circulation d'un matériel roulant susceptible de circuler également sur le réseau ferroviaire classique. Ce sera donc un tout tram et non un tram-train, dans le prolongement de la ligne D vers Saint-Médard. Ce tramway captif pourra se trouver piéger au centre, sur le réseau de tram urbain, où les interruptions du trafic ne manquent pas. Ce projet en l'état reviendrait donc à proposer un service médiocre à un faible nombre d'usagers au regard des investissements publics consentis : quand ils pourront embarquer, c'est un trajet de plus d'une heure qui les attendra et sur lequel ils ne pourront pas tous être assis !


L'obstacle technique des rails du tramway


Un tram-train, c'est un matériel roulant spécifique, apte à circuler sur le domaine ferroviaire et sur les infrastructures tram. Mais un tram-train ne peut pas circuler sur le réseau tram de Bordeaux en raison du profil des rails ce que l'étude sur le tram-train de Lacanau élude ostensiblement en se contentant d'affirmer que le matériel roulant retenu devra être compatible aux deux réseaux !


L'enseignement de l'extension vers Blanquefort


Un tram-train, c'était ce qui était prévu vers Blanquefort, le projet d'extension du réseau de transport en commun le moins coûteux au kilomètre de la Communauté urbaine de Bordeaux à l'époque. En réalité, les infrastructures tram ne permettent pas la circulation d'un tram-train sur le réseau urbain en raison du profil du rail utilisé. Ce problème de compatibilité avait été mis en avant dès 2009 dans une étude d'egis rail alors que planait l'idée d'utiliser la ceinture ferroviaire pour la réalisation de la ligne D (1). Cela n'a pas empêché de communiquer sur la réalisation d'un tram-train pour ce qui n'était en réalité qu'un "tram-tram" dans le prolongement de la ligne C, en voie unique, à côté d'une autre voie unique, celle de la SNCF ! Le coût du projet n'a pas non plus manqué d'évoluer. Alors que le budget initialement alloué au projet était de 70 millions d'euros (2), l'extension du tram C vers Blanquefort a finalement coûté 125 millions d'euros (3), soit une inflation de près de 80%.

Différence de profil des rails

Tram-Train de Lacanau : une étude insuffisante


L'obstacle technique est réel et c'est encore ce qui explique que ce prolongement vers Blanquefort, dont on louait "l'évolutivité", est condamné à demeurer un tram en voie unique à côté d'une voie unique dédiée au TER. Or cet obstacle technique n'est nullement levé dans l'étude sur le tram-train de Lacanau, laquelle se contente de noter que le matériel roulant devra être apte à circuler sur le réseau urbain (4). Autrement dit, ce que l'on appelle tram-train vers Lacanau a bien peu de chance d'être en réalité un tram-train, circulant à la fois sur le réseau ferroviaire et sur le réseau tram.


Une solution 100% train pour Lacanau se ferait au détriment des autres gares !

Un train ne circulerait que sur les infrastructures ferroviaires. Ce train ne rejoindrait que la gare Saint-Jean à Bordeaux et non les Quinconces, et via la tranchée de Talence qui est aujourd'hui déjà très sollicitée. Beaucoup la jugent d'ailleurs trop sollicitée. S'il fallait solliciter davantage la tranchée de Talence, l'ajout de circulations vers le Bassin semble bien plus prioritaire alors que les gares du Bassin forment le deuxième "pôle ferroviaire" du département (5). Enfin, cette ligne de train vers Lacanau se débrancherait de la ligne existante vers le Verdon au niveau de la rocade.

Ancienne voie ferrée Bordeaux-Lacanau

Dans ce cas, le train vers Lacanau utiliserait un sillon de la ligne existante, au détriment des communes aujourd'hui desservies et qui verraient s'éloigner la perspective d'un cadencement à la 1/2h. Parempuyre serait notamment affectée et cette dégradation du service TER légitimerait, finalement, l'extension du tram C dans sa configuration absurde, le long de la ligne de chemin de fer.


La mauvaise idée d'une solution 100% tram vers Lacanau

Derrière le tram-train de Lacanau se cache probablement en réalité, un tram tout court, comme à Blanquefort. En un peu moins absurde qu'à Blanquefort quand même car il ne s'agit pas de mettre côte à côte deux voies uniques. D'ailleurs, il semble que l'option choisie soit celle d'un prolongement de la ligne D de Saint-Médard vers Lacanau. On imagine mal que le tram soit prolongé par des infrastructures propres aux chemins de fer classiques. Mêmes rails que sur le réseau de tram actuel donc, ce qui permettrait aux rames de circuler et sur le réseau urbain et vers Lacanau. Les rames seraient cependant différentes pour répondre aux spécificités de la desserte de Lacanau... ce qui n'est pas sans poser problème !


Des rames spécifiques piégées au centre


Par souci d'économie, il n'y aurait pas de caténaires entre Saint-Médard et Lacanau. Bordeaux connait avec l'alimentation par le sol. Mais la technologie serait différente puisqu'il s'agirait d'un tram à hydrogène, ce "qui diviserait par quatre la facture" (6). Les rames ayant pour destination Lacanau devraient donc être équipées pour rouler à l'hydrogène. Sauf à ce que toutes les rames soient équipées de l'APS, d'un pantographe et d'une alimentation hydrogène, la section Saint-Médard - Lacanau ne pourra être exploitée que par un petit nombre de rames spécifiques... qui pourraient très bien être bloquées au centre à cause d'une panne, d'un retard ou d'un incident. Autant dire que cette section serait extrêmement fragile car particulièrement soumise aux aléas du centre où les 5 rames pour Lacanau pourraient être piégées. Les interruptions du trafic sur le réseau tram sont-elles si peu nombreuses que le risque peut être jugé négligeable ? L'augmentation de 85% du nombre de pannes entre 2014 et 2017 montre une très nette dégradation des conditions d'exploitation du réseau de tram, dont les infrastructures et le matériel roulant n'ont pas été prévus pour être sollicité à une telle fréquence et avec un tel niveau de charge. Le réseau vieillit ainsi plus vite que prévu (7). Et finalement, est-ce véritablement économique de passer un appel d'offres pour se doter de seulement 5 rames de tram à hydrogène ?


Une fréquentation très faible


Alors on pourrait ne pas aller à l'économie et mettre des caténaires, mais pour combien d'usagers ? L'étude parle de 1,3 millions d'usagers ce qui revient à environ 4100 usagers par jour. L'étude table sur un doublement de la fréquentation en 10 ans, soit 8200 usagers (en 2040 ?), ainsi que sur une augmentation vertigineuse du nombre de déplacements : 180000 déplacements. 8200 déplacements en transport en commun sur 180000 déplacements au total, cela représente une part modale de moins de 5%, soit moins que les Trans'Gironde aujourd'hui. Et cette estimation est pourtant basée sur un report modal assez ambitieux, dans un cône extrêmement vaste, dont la base va de Hourtin au Porge soit 35km ! On évalue en général l'attractivité d'une gare à un rayon de 1km...


Et c'est parti pour 1h30 de voyage debout


On envisage assez mal des usagers devant voyager 1h30 debout. C'est d'ailleurs, sans doute, la raison pour laquelle les Trans'Gironde sont des autocars et non des bus urbains. Il faut donc un matériel roulant proposant suffisamment de places assises aux usagers médocains. Étrangement, l'étude sur le tram-train de Lacanau se contente d'une photo d'un Dualis, deux impératifs étant précisés : "Vitesse qui puisse atteindre 90km/h" ; " Mais aussi s’insérer en ville, sur le réseau de Bordeaux Métropole". La question du confort des usagers pour un voyage susceptible de durer 1h30 n'est pas posée.

Puisqu'il s'agirait d'une infrastructure tram, on pourrait d'abord penser exploiter le tram de Lacanau avec les mêmes rames que sur le reste du réseau, mais à hydrogène. Un tram citadis c'est 70 places assises. Avec 36 circulations par jour comme prévu dans l'étude, c'est au mieux 2520 voyageurs par jour qui seraient transportés assis (et probablement pas tout le long du trajet : priorité aux PMR, saturation...). On est loin des 4100 voyageurs prévus. 1580 usagers voyageraient donc debout, pendant plus d'une heure. Et 5680 usagers dans 10 ans ! À moins qu'il ne soit prévu d'augmenter la fréquence dès l'inauguration, auquel cas on n'est plus sur les mêmes coûts d'investissement et d'exploitation ni sur les mêmes conditions de rentabilité socio-économique.


Citadis

Pour transporter 1580 usagers supplémentaires assis, il faut ajouter 23 circulations, soit plus de 60% de circulations en plus que prévu. Pour transporter 5680 usagers supplémentaires assis, c'est 82 circulations de plus soit 228% de plus ! En multipliant par 228% les coûts d'exploitation envisagés dans l'étude, ce n'est pas à 4 millions d'euros par an mais à plus de 13 millions d'euros que reviendrait l'exploitation de la ligne vers Lacanau.

Reste la solution d'allonger les rames (éventuellement en mettant en place des unités multiples). Dans ce cas, il faudra aussi allonger les stations de la ligne D. Là encore, ce n'est plus du tout le même coût !

Une autre solution serait de prévoir un matériel roulant différent du Citadis roulant aujourd'hui sur le réseau tram, avec plus de places assises. Uniquement par son aménagement intérieur, ce matériel roulant se rapprocherait davantage du tram-train mais sans être véritablement un tram-train. C'est sans doute ce qui explique la photo du Dualis dans l'étude pour illustrer la (très brève) diapositive consacrée au matériel roulant.

Tram-train Dualis

Au mieux, c'est 98 places assises pour le Dualis (8). Au mieux car le tram-train qui illustre l'étude fait 2,65m de large contre 2,40m pour le tram bordelais. Dès lors, soit on prend un matériel moins large et donc moins capacitaire, soit on reprend toutes les stations de tram de la ligne D, et donc nécessairement de la C, et on fixe de nouvelles palettes sur tous les Citadis desservant la ligne D, et donc nécessairement la ligne C. Admettons que ce n'est qu'anecdotique (!). Avec 36 circulations par jour, on atteint le chiffre de 3528 usagers par jour transportés assis. 572 voyageront debout. On imagine déjà que ce sera compliqué avec l'augmentation prévue de 100% en 10 ans. Mais, à l'inauguration et sans trop se projeter, on peut penser que ça suffira. SAUF QUE, ce faux tram-train devra aussi desservir le centre de la Métropole et subira la pression des échanges voyageurs en station et surtout de la demande toujours plus forte. Ce matériel est-il adapté à la demande au centre de la Métropole ? Évidemment, si le Dualis compte plus de places assises que le tram Citadis, c'est au détriment des places debout : 146 seulement. Au total, il peut transporter 244 voyageurs. C'est près de 20% de moins que les Citadis dont la Métropole veut augmenter la capacité de 10% (à terme, ça fait donc une différence de 26% entre les deux matériels roulants circulant sur la même infrastructure). On aurait donc de temps en temps sur le réseau, un tram-train Dualis qui viendra s'insérer et qui ne pourra transporter que 74% des usagers que peuvent transporter les Citadis qui l'encadrent. Autrement dit, les échanges voyageurs seront plus compliqués avec un Dualis au milieu de Citadis, avec le risque que les voyageurs restés à quai se reportent sur le Citadis suivant, qui est en retard, pendant que les stations en aval se remplissent sans que le Dualis puisse y faire face.

180000 déplacements entre Lacanau et Bordeaux, bonne idée ?


Ce tram-train doit anticiper une augmentation vertigineuse du nombre d'habitants dans ce triangle Hourtin - Le Porge - Saint-Médard-en-Jalles. Mais au fait, faut-il toujours plus d'habitants dans ce secteur ?


La résignation à l'étalement urbain


Bien sûr il est peu probable que la croissance démographique dans ce secteur se traduise par une multiplication d'immeubles. Alors qu'un R+4 fait aujourd'hui polémique au coeur de Bordeaux, un R+4 au coeur de Salaunes est inenvisageable.


Lotissement de Salaunes

Les maires des communes du triangle en question s'engagent-ils d'ailleurs à oeuvrer à une densification verticale du territoire plutôt que par toujours plus d'étalement ? Il s'agira plutôt de multiplier les maisons individuelles, avec jardin, peut-être même avec piscine, probablement non mitoyennes, au milieu des pins. Il s'agira donc d'artificialiser toujours plus ce territoire alors que la Gironde se caractérise déjà par un taux d'artificialisation élevé. Et une toute petite partie des nouveaux habitants prendra finalement le tram vers Bordeaux Métropole. C'est en somme une infrastructure qui accompagne, favorise et ne se justifie que par l'étalement urbain plutôt que d'encourager la densification du territoire déjà bâti, au coeur de l'aire urbaine.


Un paradoxe après Bordeaux Métropole 2050

Ce projet de tram-train vers Lacanau s'inscrit dans une logique de continuité des phénomènes observables aujourd'hui : étalement urbain et artificialisation des sols. Ce scénario, dit du fil de l'eau, est un des scénarios possibles envisagés par la mission Bordeaux Métropole 2050. Mais c'est un scénario unanimement rejeté par les élus métropolitains, qui ont affirmé la nécessité de changer de paradigme. Il est donc pour le moins curieux de retrouver le vice-président de Bordeaux Métropole en charge de BM2050, Jacques Mangon, à la pointe sur ce projet de tram-train de Lacanau.


Et on viendra expliquer dans 10 ans que certains ont été plus visionnaires que d'autres en plaidant pour un grand contournement, par l'ouest...


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(1) egis rail, Extension du réseau de tramway d'agglomération – création de la ligne D. Enjeux du tracé par la ligne ferrée de rocade, 2009, p. 12-13.

(3) Bordeaux Métropole, Tram Ligne C, p. 4.

(5) https://ressources.data.sncf.com/explore/dataset/frequentation-gares/table/?sort=nom_gare&q=arcachon

(6) J.-M. Le Blanc, "Bordeaux-Lacanau : premiers pas vers un tram-train", Sud-Ouest, 25 juin 2019.

(7) D. Lherm, "Panne générale du tram à Bordeaux : mais que s'est-il passé ?", Sud-Ouest, 4 décembre 2018.

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