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Keolis condamné à faire des miracles sur un réseau en panne

Le président de Bordeaux Métropole a annoncé le 9 juin que Keolis devrait être reconduit dans son rôle de délégataire du réseau de transports en commun. Vu l’état du réseau délégué par la métropole, le jeu de la délégation de service public oblige les candidats à prendre des engagements intenables sauf à dégrader encore les performances des transports en commun. C’est précisément le cas pour le volet tram de l’offre déposée par Keolis.

Vitesse commerciale réduite, fréquences allongées, amplification des conséquences du moindre incident, trajets bouleversés, la dégradation des conditions de déplacement sera nette si les annonces de Keolis devaient être mises en œuvre. L’annonce de deux fausses nouvelles lignes de tram fera peut-être illusion. Mais ça ne durera qu’un temps.



Les fausses nouvelles lignes de tram

Keolis prétend pouvoir créer deux nouvelles lignes de tramway et assurer des fréquences de 2 minutes et 30 secondes sur les tronçons les plus chargés dans le cadre de la prochaine délégation de service public. L’annonce est alléchante… sauf qu’il s’agit en réalité d’utiliser autrement les infrastructures tout en interconnectant davantage les lignes.

Pourtant, face à la saturation, Keolis et la métropole ont déjà fait le coup de l’optimisation de l’existant : avec les terminus partiels en 2015. Peu concluant !

Hervé Lefèvre, alors directeur général de Keolis Bordeaux Métropole, avait en effet admis plus tard que la « bouffée d’oxygène » attendue pour cinq ans n’avait pas duré deux ans. Rebelote aujourd’hui ! Mais, au regard du fonctionnement déjà très difficile du réseau pour des raisons structurelles qui ne tiennent pas à l’opérateur, ces nouvelles propositions d’optimisation vont en réalité contribuer à dégrader les performances du tramway.


Le mirage dangereux de l’augmentation des fréquences

Bien qu’une fréquence de 3 minutes est déjà difficilement tenable sur la ligne A et que des bouchons de trams se forment sur les lignes C/D, Keolis promet demain une fréquence à 2 minutes 30. Qui peut vraiment croire qu’une telle fréquence sera atteinte dans de bonnes conditions ?

De fait, les tramways se suivent déjà souvent avec un intervalle inférieur à trois minutes aux heures de pointe. Depuis que la ligne D est venue se greffer sur la ligne C, en 2019, la fréquence est très élevée sur le tronc commun. Tous les usagers ont déjà vu ou subi ces bouchons de tramways qui se forment depuis au niveau des Quinconces.

Sur cet axe, il y a un croisement à niveau des lignes C/D, puis un autre pour les lignes B/C/D et une rame doit encore souvent attendre que la précédente libère la station. Il faut rappeler qu’une forte fréquence suppose un fonctionnement millimétré, sans accroc.

Or, dans son rapport de 2019, l’opérateur Keolis relevait déjà que le bon fonctionnement des lignes C/D était régulièrement altéré.

Cela n’empêche pas le candidat Keolis de promettre une fréquence renforcée sur les lignes C/D. Ce grand écart démontre que la promesse est intenable sans dégrader encore l’exploitation.

Sur la ligne A, l’objectif des terminus partiels était d’assurer une fréquence de 3 minutes entre la gare de Cenon et l’hôpital Pellegrin. Mais au moindre petit incident, la régularité disparaît. Or, les incidents sur le réseau de trams sont très nombreux, de sorte qu’il n’est pas rare de voir des rames se suivre. Cela engendre finalement beaucoup de ralentissements.


L’interconnexion périlleuse des lignes A et C

Sur ce réseau à bout de souffle, Keolis ne pourra donc pas changer grand-chose aux fréquences qui sont déjà au maximum. En réalité, l’opérateur se contentera de modifier certains parcours, reconnectant à chaque fois un terminus de la ligne C à un autre de la ligne A. L’interconnexion des lignes actuelles ne sera cependant pas sans conséquences sur l’exploitation du réseau. On voit à peine ce que l’interconnexion des lignes C et D a produit à partir des Quinconces que l’opérateur propose à la métropole d’interconnecter les lignes A et C au niveau de Porte-de-Bourgogne, qui est déjà un point noir du réseau. D’ailleurs, notons qu’il s’agit ici d’une vieille lune déjà évoquée – et jamais concrétisée vu les inévitables difficultés d’exploitation – sous la présidence de Vincent Feltesse, en même temps que les terminus partiels.

La liste des désagréments pour les usagers à cause de cette interconnexion des lignes est longue :

  • Le renforcement des tensions sur le nœud de Porte-de-Bourgogne, où plusieurs lignes vont non seulement se croiser mais aussi se fondre, va engendrer de très nombreux ralentissements. Les usagers risquent de perdre le temps économisé par l’absence de correspondance. Sans compter les nombreux conflits d’usage, entre les piétons, voyageurs en correspondance, cyclistes…

  • Puisque Blanquefort sera désormais connectée à Floirac et non plus à la gare Saint-Jean, les fréquences entre Cracovie et la gare seront moindres qu’aujourd’hui.

  • Les Blanquefortais et les Brugeais perdent, eux, leur lien le plus efficace et le plus fréquent avec la gare Saint-Jean.

  • À l’inverse, les Floiracais et les Cenonais perdent leur liaison directe avec le CHU et au-delà, Mérignac. Cette réorganisation du réseau transformera également un voyage depuis les hauts de Cenon vers la Victoire en véritable parcours du combattant avec une correspondance à Porte-de-Bourgogne et une autre à Hôtel-de-Ville, sauf à privilégier un détour ubuesque par les Quinconces !

  • La fréquence serait diminuée sur le tronçon CHU – Cenon gare, celui-là même dont la fréquentation a justifié la mise en place en 2015 de terminus partiels.

  • Le réseau de tramway ne sera guère lisible. Jusque-là, la règle sur le réseau bordelais était que chaque infrastructure correspondait à un axe. L'infrastructure de la ligne A, malgré ses branches et ses terminus partiels, suit un axe est - ouest, la ligne B, un axe nord - sud-ouest, la ligne C, un axe nord - sud. La branche de Blanquefort et la ligne D avaient déjà perturbé ce schéma en empruntant l'infrastructure de la ligne C. L'interconnexion des lignes finit de brouiller la carte du réseau. L'utilisation du tramway ne sera plus intuitive : il faudra se garder de sauter dans le premier tram venu ou avoir bien en tête la carte du réseau ou avoir bien préparé son déplacement pour s'épargner de sérieuses déconvenues. Au travers de la perte de lisibilité, c'est l'attractivité du réseau qui est en péril.

  • La sensibilité de tout le réseau aux incidents sera accrue : alors que, aujourd’hui, un problème sur une ligne ne se répercute que sur l’ensemble de cette ligne, désormais, un problème sur la ligne A pourra causer des ralentissements voire une interruption sur les lignes C, D, E, F ! Comme le renforcement des fréquences, le maillage d’un réseau suppose un fonctionnement millimétré de l’ensemble des lignes.

Or, la métropole insiste elle-même sur des « problèmes récurrents de fiabilité », sans offrir pour autant de réponses structurelles.

Charge à l’opérateur de faire des miracles avec l’existant !


Petites pertes de temps, grosses conséquences

Les quelques minutes perdues, paradoxalement, à cause de l’interconnexion des lignes et de l’augmentation des fréquences peuvent paraître anodines. En réalité, elles provoquent un effet domino.

Alors qu’elle est déjà bien loin des 21km/h promis avant l’inauguration du tramway, une vitesse commerciale diminuée nuit d’abord à l’attractivité du réseau.

Et la métropole a beau jeu de souligner la stagnation de la part modale des transports en commun malgré les développements du réseau, sans en tirer la seule leçon possible : le tramway ne peut plus être la colonne vertébrale du réseau de transports en commun.

De plus, il est impossible de conserver la fréquence cible avec le même nombre de rames si la vitesse commerciale diminue. Il faut en conséquence acheter plus de rames, les faire rouler, les entretenir, les réparer et, à terme, les renouveler. Tout cela a un coût non négligeable.

Surtout, augmenter la fréquence suppose de solliciter davantage des infrastructures prévues pour permettre la circulation d’un tramway toutes les 5 minutes à l’origine. Cela se traduit par un niveau d’usure plus important des infrastructures et des rames, ce qui suppose plus de travaux paralysant le réseau totalement ou partiellement. D’ailleurs, le coût d’exploitation (c’est-à-dire les dépenses moins les recettes) par kilomètre du tramway a explosé entre 2008 et 2019, passant de1,78 à 3,72€ soit une augmentation de 109%. Les terminus partiels ont également contribué à la plus grande sollicitation des infrastructures et des rames, avec, pour conséquence, un doublement du nombre de pannes depuis la mise en service des terminus partiels (306 pannes en 2019 contre 151 en 2014, soit une augmentation de 103%), quand le nombre de kilomètres parcourus n’a, lui, augmenté que de 48%.


On peut comprendre que les propositions du candidat Keolis ne soient pas raccord avec les constats de l'opérateur Keolis. Un contrat à 2,2 milliards, cela ne se refuse pas. En revanche, on comprend moins l'enthousiasme des élus qui font mine de croire à une désaturation alors que les propositions faites ne feraient que compliquer l'exploitation du réseau, au détriment des usagers. Un minimum de compétences et de connaissances sur le fonctionnement du réseau suffit pour comprendre que les limites du réseau de tramways sont déjà atteintes.

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