Tram Gare <> Aéroport : le coup de grâce pour le réseau de tramway ?
- Antonin Forest
- 4 juin
- 5 min de lecture
Dès les prochaines semaines, de lourds travaux auront lieu à Porte de Bourgogne pour permettre la création de deux nouvelles lignes de tramway. En réalité aucune nouvelle ligne n’est créée, il s’agit seulement d’une reconfiguration des lignes existantes. Il n’y a donc réellement aucune nouveauté, bien au contraire, le réseau en sera très nettement fragilisé. Par ailleurs nous alertions déjà sur l’effet de ces lignes dès juin 2022 lors de la signature du contrat de DSP entre Keolis et Bordeaux Métropole.
Pourquoi ces nouvelles lignes ?
Les nouveaux services E et F impactent les lignes A, C, et D actuelles. Toutes ces lignes se croiseront à Porte de Bourgogne, via de nouveaux aiguillages, installés cet été, source de 3 mois d’interruption. L’objectif de ces lignes est de réduire le nombre de correspondances à Porte de Bourgogne, tout en essayant de rendre le réseau plus lisible.

L’idée est issue de Keolis, qui, alors qu’il allait perdre le contrat de DSP (délégation de service publique pour l’exploitation du réseau TBM), aurait dégainé à la dernière minute cette proposition de création de nouvelles lignes de tramway sans nouvelle infrastructure (canal transports urbains, 08/2022). C’est grâce à cela que Keolis aurait finalement remporté le contrat face à Transdev, qui n’a pas caché ses suspicions concernant l’attribution du contrat, à tel point que Transdev est allé devant le tribunal administratif, qui a jugé que la métropole devait publier l’offre de Keolis (Sud Ouest, 20/03/2025). Nous suivrons le dossier avec attention, car il nous donnera sans doute des clés dans la compréhension de la création des lignes E et F.
Finalement, la baisse du nombre de correspondances serait de moins de 10% selon Bordeaux Métropole, insuffisant pour désaturer les pôles existants. Par ailleurs, les voyageurs des branches déconnectées seront désormais forcés de faire une correspondance autrefois non nécessaire : les voyageurs venant de Floirac devront faire une correspondance pour rejoindre Hôtel de Ville/Mériadeck/CHU, et les usagers venant de Blanquefort seront là aussi obligés de faire une correspondance pour rejoindre la Gare St Jean. Un usager venant de Floirac serait même forcé de faire 2 correspondances pour rejoindre Victoire ou le campus (ou bien de faire le détour via Quinconces pour n’avoir qu’une seule correspondance). On voit donc bien que la diminution du nombre de correspondances nécessaire ne se fait pas pour tout le monde.
Une fragilisation de l’exploitation
Nous illustrerons nos propos par 2 situations : la situation normale et la situation perturbée.
D’abord, en situation normale, nous aurons donc 5 lignes, avec en moyenne un tram toutes les 45 secondes au niveau du carrefour. Or, un tramway occupe le carrefour pendant quasiment 30 secondes (prise en compte du tramway, ouverture du signal, passage du tramway, marge, ouverture du signal d’une autre voie), ce qui signifie qu’il y aura nécessairement des embouteillages de tramway, situation que nous connaissons déjà à Quinconces au croisement des lignes B, C et D.

La ligne posant le plus problème dans cette configuration d’aiguillages est la ligne F puisqu’elle croisera toutes les autres voies, avec un linéaire assez long, créant un problème de cisaillement. A vitesse réduite (15km/h), le tramway mettrait ainsi 40 secondes à franchir le carrefour. Sans compter l’ouverture du signal, les marges. Il est donc évident que des bouchons de tramway importants vont se créer, dégradant ainsi les temps de parcours et la régularité, alors même que cette dernière est déjà très basse (85%).
En situation perturbée, le réagencement des lignes pose encore plus de problème, puisqu’elle multiplie les points de retournement pour un seul incident. En effet, si un incident ou une manifestation a lieu entre les stations St Michel et Quinconces, ou bien entre Stalingrad et Ste Catherine, alors il y aurait 3 points de retournement nécessaires, au lieu de 2 jusqu’alors.

Nous avons ici l’exemple d’une manifestation à Place de la Bourse, qui pourrait aussi très bien être un incident (croix noire). Les points de rebroussement sont matérialisés par des traits noirs. On a donc les lignes C et D qui sont interrompues entre St Michel et Quinconces (pas de changement là dessus donc), mais également la ligne E (en marron), qui est interrompue entre Stalingrad et Quinconces. On a donc dans cette configuration 3 points de rebroussement : Quinconces, Stalingrad, et St Michel. Au vu des fréquences cumulées sur ces points de rebroussement, il est évident que le rebroussement d’un tramway impacte la régularité des tramways des autres lignes passant au même endroit. En effet, on aurait à Stalingrad une fréquence de 2min30, soit, un tramway toutes les 1min15 en moyenne sur les 2 sens. Or un rebroussement dure plusieurs minutes (activation de l’aiguillage, franchissement à 10km/h de celui-ci, changement de cabine, activation de l'aiguillage, et retour à l’arrêt). Avec un tram tt les 1min15 ce rebroussement entraînera nécessairement de forts retards sur la ligne A. Ainsi, un usager à Mérignac Centre subira les effets d’un incident ayant eu lieu à Place de la Bourse, ce qui jusqu’alors était impossible.
Pire encore, si un incident a lieu sur l’un des quais à Porte de Bourgogne, il pourrait y avoir jusqu’à 4 points de rebroussement, impactant encore plus sévèrement le réseau.
Bref, ces nouvelles lignes rendront le réseau encore plus vulnérable aux incidents, pourtant très nombreux (en moyenne 4 interruptions par jour sur le réseau).
Un pansement inefficace sur un réseau qui explose
La reconfiguration des lignes E et F s’accompagne d’un renforcement de la fréquence en pointe sur la ligne A (2min30 au lieu de 3min). Cette augmentation de 15% de la capacité théorique de la ligne (en réalité cette fréquence sera intenable du fait des difficultés d’exploitation à Porte de Bourgogne) apportera peut être une amélioration des conditions de trajet sur la ligne, mais est très largement insuffisante face à l’augmentation de la fréquentation sur cette ligne. En effet, entre 2021 et 2035, la population en plaine rive droite va doubler (Brazza, Niel, Belvédère, Lissandre, Garonne Eiffel), et ce n’est pas une augmentation de 15% de la capacité de la seule ligne de TCSP de la rive droite qui comblera ce besoin. Et non les BEX H et J ne sont pas suffisants. D’abord parce qu’ils ne sont que des bus, n’ont pas les standards d’un BHNS (manque de site propre, pas de priorité aux feux), et parce qu’ils n’ont pas la capacité suffisante pour absorber les flux.
Conclusion
Cette tentative de robustification ratée illustre la déconnexion de Bordeaux Métropole avec la réalité. Proposer un tramway toutes les 45 secondes à un carrefour dont il faudra 40 secondes pour le franchir est périlleux. Rendre interdépendantes 5 lignes de tramway alors même que le réseau est déjà très vulnérable aux incidents va décupler l’impact de ces derniers sur le réseau. L’insatisfaction des usagers en résultant ne saurait être compensée par les 10% d’usagers qui économiseront 1min30 de temps de correspondance à Porte de Bourgogne. Nous vous donnons rendez-vous fin 2025.
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