Les performances du réseau TBM se dégradent
- Mickaël Baubonne

- 14 nov. 2024
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 20 févr.
Dans ce second volet de sa lecture approfondie du rapport du délégataire, l'association Métro de Bordeaux relève des indicateurs alarmants de la dégradation du réseau. Loin d'être transparents, les documents manquants et les données dissimulées par Bordeaux Métropole ajoutent à une impression croissante de flou et de rétention d'informations. Cette opacité, quasi institutionnalisée, pose question sur l'état réel du réseau et laisse entrevoir une situation bien plus préoccupante que ce que l'on veut bien admettre.
Le réseau de bus
La mise en service du nouveau réseau de bus a entraîné une forte baisse de la ponctualité et une dégradation notable du service. En raison des difficultés de recrutement de conducteurs, les lignes souffrent d’un manque de régularité et d’adaptabilité. Le rapport du délégataire, toutefois, reste silencieux sur plusieurs aspects cruciaux, laissant de nombreuses questions sans réponse.
Des bus de moins en moins ponctuels
Sur le fond, nous constatons qu’un certain nombre d’indicateurs sont inquiétants et soulignent la dégradation des performances du réseau. Tout d’abord une forte baisse de la régularité-ponctualité des bus à partir de la mise en service du nouveau réseau (p. 41-42). Nous aurions aimé à ce propos disposer des documents avant-après mise en service du nouveau réseau communiqués par KB2M à toutes les communes et faisant le point sur toutes les lignes de bus. Nous relevons d’ailleurs que les kilomètres perdus en 2023 sont fortement à la hausse au second semestre, ce qui est concomitant avec la mise en service du nouveau réseau.

Un réseau très vulnérable aux difficultés de recrutement
Il est indiqué que cela est « principalement attribuables à une insuffisance de conducteurs » (p. 46) et que, « de manière plus générale, cette année a mis en évidence des difficultés accrues dans le recrutement de conducteurs, impactant la qualité de service et nécessitant, de manière ponctuelle, la mise en place de plans de transport adaptés » (p. 60). Il est enfin indiqué que « l’effectif moyen réel hors personnel à disposition et intérim est de 2578,4 ETP en moyenne sur l’année en 2023, en retrait de 181,5 par rapport au prévisionnel » (p. 152). Ce nouveau réseau n’est-il pas plus vulnérable aux difficultés de recrutement alors que le réseau TBM suppose plus de conducteurs que d’autres ? À titre d’exemples, alors que le réseau Tisseo produit plus de kilomètres que le réseau TBM, le réseau de Toulouse roule avec 1350 conducteurs. Forcément, d’éventuelles difficultés de recrutement les frappent moins durement.
Les conséquences du nouveau réseau absentes du rapport
Il y eut en 2023 un changement très important : celui de la mise en place du nouveau réseau de bus. Dans le rapport, ce bouleversement est presque invisible. Aucun comparatif avant/après nouveau réseau, aucune analyse des changements n’est visible dans le document. Pourtant, nous savons que ces analyses, ces chiffres, existent. En effet, début 2024 Keolis a fait le tour des communes de la métropole pour présenter des données d’évolution de fréquentation et de ponctualité aux élus. Ces présentations ont débouché sur des ajustements qui ont eu lieu en 2024, qui ne sont pas non plus mentionnés dans le rapport. Et pourtant, les questions en suspens sont nombreuses au sujet de ce nouveau réseau. L’augmentation des circulations bus sur la plaine rive droite ainsi que sur les ponts a-t-elle amené une augmentation de la fréquentation rive droite, alors même que la fréquentation des transports collectifs en plaine rive droite stagne depuis 10 ans ? Quels ont été les dégâts sur la fréquentation des lignes qui se sont vues amputées d’une large partie de leur offre (lianes 1, 4, 10) au profit d’autres lignes à l’intérêt parfois non démontré (lianes 39) ? Ces questions n’ont pas de réponses dans le rapport, alors même que ces données étaient justement parmi les plus attendues.
Liane 31 et 10 : une ponctualité catastrophique
Le rapport ne détaille pas les causes de la ponctualité catastrophique d’un certain nombre de lignes de bus, notamment la lianes 31, qui remplace très partiellement la lianes 10. Le corridor gare campus a très largement été sacrifié au profit d’un allongement de la ligne 31, puisque la fréquence des bus sur ce corridor a été divisé par 2 en heure creuse (15min au lieu de 7min). Cette diminution de fréquence est renforcée par une ponctualité régularité abyssale de 62% durant ses 3 premiers mois d’exploitation en 2023. Ces données ne proviennent pas du rapport, bien évidemment, mais d’un conseiller municipal qui fut le seul à écrire un article à destination de ses habitants, décrivant l’état du réseau dans sa commune, en toute transparence.
Cette ponctualité particulièrement faible est encore renforcée par un nombre de suppressions ahurissant, particulièrement au début du nouveau réseau, mais également durant l’été 2024. Ces données, là aussi, ne figurent pas dans le rapport. Mais les usagers observent, et constatent ce problème.
Durant la période de travaux du tramway B pendant l’été 2024, la moitié des bus de la lianes 31 étaient supprimés sur la portion Cenon Gare – Montaigne, et la totalité des bus étaient supprimés pendant 3 semaines sur la branche Pessac Photonique, puisque cette moitié de bus non supprimés allaient tous sur Gradignan. Le tout sans aucune information pour l’usager : aucune annonce sur les réseaux sociaux, aucune information trafic sur l’application, rien. Ce genre de pratiques auraient fait scandale dans d’autres villes, mais ici visiblement ça n’émeut personne qu’une branche entière de ligne ne reçoive aucun bus sans raison apparente pendant 3 semaines. C’est d’autant plus impactant que Pessac n’avait même pas de tramway durant la période, puisque celui-ci était en travaux.
Dégradation des lignes 1 et 4
D’autres lignes se dégradent durant la période, notamment la 1 sur Mérignac qui a perdu nettement en fréquence (12min contre 8 auparavant en heure de pointe). Dans le même temps, la 11 fut supprimée, remplacée par une ligne principale moins fréquente, alors même que la ligne était saturée avant le changement de réseau. L’offre Bordeaux <> Mérignac est donc clairement dégradée par rapport à 2022, il aurait été pertinent de fournir des chiffres d’évolution de la fréquentation sur cet axe suite à ces changements.
En 2023, la 4 se limitait à un terminus palais de Justice, ce qui lui a valu une diminution de 5% de sa fréquentation sur l’axe Pessac – Bordeaux.
Désormais, lianes 1 et 4 sont fusionnées afin de « rapprocher » la 4 du centre-ville. En réalité il n’y a pas vraiment de rapprochement, puisque la station Mériadeck n’est pas plus proche du centre-ville que palais de justice. Par contre, la ponctualité de la lianes 4 va nécessairement en pâtir puisque sa longueur est doublée, et que le tracé sur Mérignac appartenant à la lianes 1 avait l’un des pires taux de ponctualité du réseau (63%).
Des lignes de bus trop longues
Cette manie de créer des lignes longues crée nécessairement une dégradation nette de la régularité/ponctualité. Ce n’est pas pour rien que Keolis lui-même avait fait marche arrière au milieu des années 2010 en raccourcissant une par une les lianes trop longues créées lors du réseau de 2010. Ces leçons n’ont visiblement pas été tirées puisque Bordeaux bat désormais le record de la ligne de bus la plus longue de France, avec un temps de parcours de 2h15 l’aller. Quel intérêt de faire des lignes si longues ? Qui fait des trajets de plus de 2h, soit, plus long que d’aller à Paris depuis la Gare St-Jean ? La chute de performance des lignes trop allongées démontre de la démesure de celles-ci. Il est même inquiétant que la plus longue d’entre-elles (lianes 31) soit prévue d’être convertie en BEX sur toute sa longueur, alors même que l’urgence est de diviser la ligne en deux.
Le réseau de tram
Le tram bordelais n’atteint pas les objectifs fixés en matière de régularité et de ponctualité, affichant des taux inférieurs à ceux de 2022. La fiabilité des données soulève également des questions, avec des écarts entre les rapports et les présentations officielles. Par ailleurs, malgré un taux de disponibilité affiché comme élevé, la vitesse commerciale continue de chuter.
Le tram n'atteint pas ses objectifs de régularité ponctualité
L’indicateur régularité ponctualité du tram est quant à lui systématiquement inférieur à 85% alors que l’objectif est de 92% (p. 43). Il est donc en diminution par rapport à 2022 puisqu’il était de 85,2%. Et c’est pourtant une vision très optimiste de la régularité ponctualité possiblement très éloignée du ressenti voyageur puisque « les courses prises en compte sont les courses complètes, valides et conformes au graphicage théorique » (p. 43). Et même en prenant que les courses qui vous arrangent, la régularité-ponctualité n’est pas au rendez-vous. Et nous ne vous jetons pas la pierre, nous n’avons que trop conscience à quel point il est difficile de circuler en surface aujourd’hui. Mais il appartient à la Métropole d’en tirer les conséquences et à vous de ne pas faire des promesses intenables. Toujours à propos de cet indicateur, nous avons remarqué que le graphique communiqué dans le powerpoint ne correspond pas à celui dans le rapport. La chute entre février et avril est ainsi plus marquée dans le rapport que dans le Powerpoint, elle est continue entre septembre et novembre dans le rapport mais discontinue sur le Powerpoint. (voir ci-dessous)

Un taux de disponibilité étrangement élevé
Le taux de disponibilité du tram étonne puisqu’il est de plus de 97,5% en 2023 alors que, en 2022, le taux d’indisponibilité était de 10,52%. Comment croire dès lors que le taux d’indisponibilité a à ce point chuté. D’ailleurs, si votre présentation souligne « une année 2023 en amélioration » pour le nombre de pannes bloquantes, à l’échelle de plusieurs années, il faut en réalité noter une dégradation, avec un taux de 0,60 pannes pour 10000km en 2023. De même, la disponibilité des trams à 7h30 est quasiment tout le temps inférieure à 2022 (p. 365).

Données manquantes sur les interruptions
À propos des interruptions, nous aimerions savoir combien de temps dure chacune d’elles. Lorsque nous avons rencontré Madame de François et Madame Mabillon le 15 janvier 2024, elles nous ont indiqué que les interruptions étaient de très courte durée pour tenter d’en minimiser le nombre. Si la directrice générale de la mobilité a affirmé détenir effectivement cette information, comme la durée de chaque panne, qui nous serait communiquée si le secret des affaires ne s’y oppose pas, Bordeaux Métropole nous a précisé finalement que cet élément n’est pas « disponible ». La CADA a pourtant conclu que ces données étaient communicables. Nous ne les avons toujours pas et elles ne figurent évidemment pas dans ce rapport.
La vitesse du tram baisse
Nous relevons enfin la poursuite de la dégradation de la vitesse commerciale du tram qui n’est plus désormais que de 17,81 km/h alors que, pour chaque ligne, c’est une vitesse de 21 km/h qui était considérée pour conclure à leur utilité publique. Le pire, c’est la ligne D, qui retombe à moins de 17 km/h. Signe de la dégradation des performances, la fréquentation peine à revenir à ce qu’elle était. Et on touche du doigt toute l’absurdité de connaître seulement maintenant d’un rapport sur 2023 alors que Keolis et Bordeaux Métropole viennent d’annoncer en grande pompe une augmentation du nombre de voyageurs en 2024. Mais restons donc à 2023 puisque c’est la temporalité que vous nous imposez. Le rapport n’utilise plus la donnée des voyages comptables, ce qui complique les comparaisons avec les années précédentes. Ce changement est-il définitif et une validation égale-t-elle un voyage comptable désormais ? Sauf erreur, vous annonciez lors d’une dernière CCSPL que ce ne serait pas le cas et qu’un coelicient serait toujours appliqué. Où est-il en 2023 ? Il apparaît en tout cas que le nombre de validations en 2019 (109 412 077) était plus élevé qu’en 2023 (105 021 261) et ce malgré l’incendie du parking des Salinières. Bien des réseaux n’ont pas attendu 2024 et n’ont pas eu à compter sur l’inauguration d’un BHNS et d’une nouvelle ligne de tram pour retrouver leur fréquentation d’avant covid.
Dans le même ordre d’idée, nous avons noté l’enthousiasme de la métropole à propos du pass TBM+Train qui aurait séduit 1 574 usagers depuis novembre 2023. Cela représente 0,12% du nombre de pass annuels et pass annuels jeunes. Cela permet de relativiser le succès de cette mesure.
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