Les boulevards, un projet hors contexte sans fil conducteur
- Antonin Forest
- 3 avr.
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 4 avr.
Alors que Bordeaux Métropole engage une vaste réflexion sur l’avenir de ses boulevards, l’ambition affichée d’un réaménagement apaisé et végétalisé se heurte à un manque criant de vision stratégique. Entre injonctions contradictoires, expérimentations symboliques déconnectées des réalités du terrain et absence de planification à l’échelle métropolitaine, le projet peine à convaincre. Résultat : une concertation longue de cinq ans qui laisse un goût d’inachevé et une impression de flou persistant sur l’avenir de cet axe vital de 19 kilomètres traversant six communes.

Les boulevards d'hier à aujourd'hui : un nouveau projet de réaménagement
L’origine des boulevards Bordelais remontent aux préoccupations hygiénistes qui courent tout le long du 19ème siècle ainsi qu’à une volonté de mieux définir de nouvelles limites administratives pour la ville. À l’époque, la ville est encore limitée par son emprise médiévale et ses rues étroites. C’est dans ce contexte que l’idée de boulevards enserrant la ville historique fait son chemin. Les boulevard de Bordeaux ont été progressivement aménagés sur une cinquantaine d’années, à partir de 1853 jusqu’en 1902. Dès son achèvement, ce grand axe va structurer la physionomie de la ville jusqu’à nos jours.
Ils sont au cœur aujourd’hui d’un nouveau projet de réaménagement. Pour se rendre compte de son envergure, le projet dépasse celui réalisé pour les quais il y a 20 ans.
À l’occasion d’un précédent article, nous avions évoqué le décalage sur la vision future de cet axe : d’un côté, les élus et les habitants du centre ville, réclamant des boulevards plus apaisés et végétalisés. De l’autre, une vision des habitants de la banlieue pour qui les boulevards sont avant tout un lieu de transit et de circulation vital qui doivent conserver en partie leur caractère fonctionnel (stationnement notamment…)
Métro de Bordeaux était présent à la réunion de clôture de cette concertation le 02 Décembre dernier. À l'issue de cette réunion, c'est un sentiment d’inachevé qui domine sur ce projet, et que Bordeaux métropole est passé à côté de son sujet. La problématique mobilités pour les boulevards est centrale avant toute intervention dessus. À ce stade, elle a pourtant été traitée bien trop légèrement.
Un projet flou sans fil conducteur et sans pilote
Depuis 2019, les boulevards font l’objet d’une concertation. 5 ans durant lesquels les citoyens de la métropole ont été invités à s’exprimer. Sans concerter, la mairie choisit en 2020 de réduire à 2x1 voies les boulevards de façon temporaire, puis la nouvelle majorité portée par Pierre Hurmic décide de pérenniser l’aménagement. Si la réduction à 2x1 voies peut se justifier, concerter les habitants et communes environnantes pour adapter le plan de circulation est vital pour ne pas avoir un report de trafic important sur les rues de desserte locale.
Depuis, Pierre Hurmic et la métropole ne sachant pas vraiment quoi faire de l’axe, une nouvelle page de la concertation lancée sous la mandature précédente commence. Il s’agit désormais d’ateliers, où les habitants sont amenés à exprimer leur vision pour l’avenir, sans réelle direction, créant ainsi des injonctions contradictoires. D’un côté, l’envie de créer un espace de vie, et de l’autre, le souhait de garder le rôle d’axe de transit.
En parallèle de ces ateliers, des expérimentations sont menées, la plus visible étant l’aménagement temporaire réalisé par le collectif “Bruit du frigo” à Barrière St Augustin. Cet aménagement est constitué d’un échafaudage “belvédère”, avec une vue sur le cimetière de la Chartreuse. Aux abords de l’échafaudage, des tables de pique-nique ont été installées. On notera le langage utilisé par la mairie et le collectif pour décrire cet aménagement :
"L’expérience permet au public de voir différemment cette portion des boulevards et de découvrir le paysage insoupçonné du cimetière, et ainsi de prendre conscience du rôle potentiel des boulevards comme espace de mise en scène de la ville et de son patrimoine.
"Le belvédère est lui-même pensé comme un objet qui interpelle, intrigue et invite le passant à s’arrêter et à prendre le temps"
"La structure fait dialoguer ces deux environnements contrastés et séparés par un long mur aveugle"
Ces phrases, pleines d’éléments de langage complètement conceptuels, révèlent le décalage très fort entre les actions de la mairie et les enjeux réels et concrets des boulevards. Cet aménagement ne fait aucun sens, déjà parce qu’il n’y a pas de passant sur cette portion des boulevards. D’ailleurs, quel intérêt pour le passant de s’arrêter sur une table de pique-nique au bord d’une autoroute urbaine ? Cet espace est très désagréable pour le piéton, qui essaie au contraire de minimiser le temps qu’il y passe, parce que la barrière St Augustin est bien l’une des portions les plus bruyantes et routières de tous les boulevards. C’est à se demander si les concepteurs de cet espace se sont rendus sur place.

Cet aménagement est le symbole de tout ce qui ne va pas sur ce projet de réaménagement : vouloir lier plusieurs fonctionnalités urbaines sur un linéaire étroit, sans avoir la moindre idée de la faisabilité de ce désir.
L’axe étant d’envergure métropolitaine, le devenir de celui-ci est étroitement lié à l’évolution de la métropole dans sa globalité.
Les boulevards doivent devenir un espace de vie ? Les infrastructures de transport devront alors être adaptées pour diminuer le trafic des voitures, avec une réflexion sur l’urbanisme (ville du quart d’heure ?) afin de minimiser les besoins de déplacement. Les boulevards deviendraient une centralité urbaine qui justifierait la pacification de ces derniers. Le problème est qu’aujourd’hui il n’y a pas de vision globale sur le devenir de la métropole. Les projets sont exécutés de façon indépendante, sans réflexion sur les effets combinés de ces derniers.
Nous avons donc le sentiment que la métropole est aujourd’hui sans pilote. La mairie de Bordeaux et la métropole hésitent, ne sachant pas quelle décision prendre pour le devenir de ces boulevards. La concertation initiale s’étale depuis 2019 avec déjà des dizaines d’études effectuées. Il est même question de 5 à 10 ans d’expérimentation pour des aménagements provisoires avant un aménagement définitif pour… 2040 ! Par ailleurs, aucune vision métropolitaine n’est exprimée, des concepts sont parfois entendus en conseil métropolitain ou bien dans les journaux “démobilité, desserrement urbain, ville du ¼ d’heure”, mais aucune planification globale des politiques publiques n’est menée.
Dans ce contexte bien flou, le projet des boulevards manque d’une véritable colonne vertébrale pour être un réel projet structurant.
Un retour à la case départ
Il n'est aujourd’hui pas très difficile de comprendre que les boulevards ne vont pas beaucoup bouger par rapport à aujourd’hui. Effectivement, il n’est pas concevable pour la métropole de mettre les boulevards à sens unique, ou bien d’enlever les voies de bus. Cela signifie que le partage de l’espace sera strictement le même qu’aujourd’hui : absence de piste cyclable sécurisée, espace bruyant et peu désirable.
Il est donc assez évident que cette concertation sur cet aménagement pose plus de questions que de réponses, car les boulevards sont un enjeu métropolitain. Leur transformation implique une planification métropolitaine, à l’image de la planification urbaine de qualité qui avait été faite avec la construction du tramway.
A ce stade, c’est donc un retour à la case départ : la concertation ne fait qu’exacerber l’équation aujourd’hui impossible à résoudre sans réflexion sur l’avenir de la métropole : faire rentrer tous les modes de déplacements sur 20 mètres de large pour assurer le rôle de transit, tout en pacifiant l’espace.
Les usagers des boulevards, les grands oubliés de ce projet
La vision actuelle de l’aménagement des boulevards partagés par les élus et les habitants du centre ville peut se résumer à travers les mots clefs suivants :
transformer
apaiser
imaginer
innover
Le caractère vital, stratégique et logistique que constituent les boulevards dans le plan de circulation de la métropole a été effacé voire nié dans cette réunion de clôture.
La vision rendue en est creuse, alors qu’il est question d’un axe de 19 kilomètres de linéaire à revoir sur 6 communes, avec près de 80000 personnes dans ses abords et 50000 emplois.
Des annonces frôlant la démagogie ont été abondamment relayés et trahissent cette vision en décalage face aux enjeux pressant de mobilités auquel Bordeaux est confronté (cf “parmi les propositions les plus originales : la possibilité de rejoindre leur école via une accrobranche ou le remplacement du nom de barrières par tremplin” cf Sud Ouest).
Plus grave, toujours selon Sud Ouest il serait question d’une fracture générationnelle dans la vision de l’aménagement de cet axe, le tout dans une présentation caricaturale entre des jeunes demandeurs de solutions d’apaisement avec les mobilités “douces” (vélos, marche…), face aux générations précédentes, présentées comme conservatrice, qui réclameraient de garder une partie des infrastructures routières (parkings, voies de circulation…) Là encore, cette fracture fictionnelle et romancée traduit en réalité la vision non pas entre deux générations, mais entre les habitants de l’hypercentre et ceux de la banlieue, proche ou lointaine.
Pour certains habitants, il est question d’un axe agressif. Il est vrai que dans leur forme actuelle, les boulevards n'incitent ni à la flânerie, ni à l’apaisement ou au repos.
Mais est-ce vraiment ce que l’on doit attendre d’un axe aujourd'hui vital pour la vie de la métropole, ainsi que pour assurer l’approvisionnement des boutiques et commerces du centre-ville.
Par ailleurs, une pacification de l’axe est-elle vraiment pertinente ? Les boulevards ne sont pas une centralité, en effet, il y a peu de commerces sur le linéaire, en dehors de quelques barrières vivantes (St Genès, Pessac, Médoc). Pacifier l’axe ne signifie pas pour autant que les piétons s’y rendront, puisqu’il n’ont pas vraiment de but pour s’y rendre. Aujourd’hui les boulevards sont un lieu de passage, et si la métropole souhaite changer cet usage, il faudra en changer les fonctions urbaines : plus de commerce, plus de tertiaire, plus d’équipements publics, pour en faire un lieu de destination. Mais est-ce pertinent de faire des boulevards une nouvelle centralité ? D’autres lieux seraient sans doute plus pertinents, avec un potentiel qui est aujourd’hui peu exploité (Bassins à Flots par exemple, ou encore les centre-villes des communes intra-rocades).
L’aménagement des quais réalisés il y a 20 ans faisait sens étant donné le caractère majestueux, monumental et l’agrément offert par les abords du fleuve. Les boulevards en tant que tels ont un intérêt patrimonial certain avec les façades qui le bordent et les barrières pourvues d'une vie commerçante. Mais c’est à peu près tout. Il n’y a aucuns autres agréments. Comme son nom l’indique, il est bien question d’un axe de circulation avant tout.
A aucun moment durant cette réunion et ce projet n'ont été évoqués les milliers de travailleurs empruntant ces boulevards et qui font vivre Bordeaux. Celui-ci étant devenu pour l’occasion dans la vision des élus, des urbanistes et de certains habitants un grand terrain de jeu pour y déverser toutes les obsessions de l’époque, à savoir un espace public transformé en terrain de jeu.
Les milliers d'automobilistes empruntant cet axe chaque jour n’ont pas pour objectif de réduire volontairement à néant l’espace de vie des riverains des boulevards par les nuisances sonores et la pollution. Ils font avec l’offre de mobilité dont ils disposent.
En l'état, les boulevards sont un axe majeur du centre-ville dont Bordeaux ne peut se passer pour le moment. En effet, les boulevard desservent des sites stratégiques comme la Cité Administrative, l'hôpital Pellegrin, le stade Lescure et de nombreux établissements scolaires. Ces sites ne sauraient se contenter d’une desserte par accrobranche ou d’un sentier piéton engazonné le long d’un ruisseau bucolique pour assurer leurs déplacements quotidiens.
Face aux nuisances existantes, sans une amélioration significative de l'action sur les transports en commun pour espérer se passer efficacement de la voiture, la volonté d'apaiser et de végétaliser cet axe restera un vœu pieu.
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