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Pénurie de personnel chez TBM : pourquoi Bordeaux est plus impactée que d’autres villes ?

Dernière mise à jour : 23 févr. 2024

À Bordeaux, le manque de conducteurs et de techniciens de maintenance a des conséquences bien plus lourdes que dans d’autres villes françaises. La métropole a fait le choix d’un réseau de transport en commun qui impose de nombreux recrutements. Confrontée à une hausse mal anticipée de la fréquentation des transports en commun et incapable de tenir les objectifs en termes de vitesse commerciale, la métropole injecte toujours plus de bus et de tramways renforçant chaque jour davantage sa dépendance en personnel qualifié.


Les chiffres de la pénurie

Lors de notre rencontre avec Béatrice de François, la première et principale difficulté évoquée par la vice-présidente de Bordeaux Métropole déléguée aux transports en commun a été le manque de conducteurs et de techniciens de maintenance. Malgré toutes les campagnes de communication autour de ces métiers qui recrutent, le nombre de conducteurs ayant quitté TBM a dépassé largement le nombre de ceux ayant rejoint l’opérateur en 2022.

En 2023, 80 conducteurs auraient été embauchés, mais il en faudrait encore 245 de plus en 2024 !

Au total, le réseau a perdu 45 conducteurs cette année-là. En 2023, 80 conducteurs auraient été embauchés, mais il en faudrait encore 245 de plus en 2024 ! Le manque de techniciens de maintenance a un impact sur la disponibilité du matériel roulant et aggrave les effets des pannes. Yvan Fort, délégué syndical chez TBM, rapporte que « nous disposons de 130 rames [de tramway] et 108 sont habituellement en service, les autres en maintenance. Mais en ce moment, nous en avons moins de 100, on en a eu même 90 certains jours* » . Non seulement les recrutements sont difficiles mais en plus les agents ne seront effectivement opérationnels qu’après une importante période de formation. Les effets de la pénurie pour les usagers seront donc durables et ne s’arrêteront pas au moment du recrutement. Cependant, la vice-présidente a souhaité relativiser ce constat : la situation est difficile, « comme partout ». Vraiment ? Justement, non : contrairement aux réseaux de certaines métropoles de taille comparable, le réseau bordelais exige une main d’oeuvre abondante.


*https://france3-regions.francetvinfo.fr/nouvelle-aquitaine/gironde/bordeaux/manque-de-conducteurs-et-de-techniciens-de-maintenance-le-trafic-des-transports-en-commun-sous-pression-a-bordeaux-2909579.html.


Un réseau nécessitant plus de main d'oeuvre qu'ailleurs

Au 31 décembre 2022, le réseau bordelais de transports en commun comptait 1814 conducteurs. Le réseau toulousain est quant à lui exploité grâce à 1350 conducteurs seulement. Ces données montrent déjà à quel point l’exploitation du réseau de trams et de bus bordelais demande énormément de main d’oeuvre. Il faut donc recruter à Bordeaux bien davantage qu’à Toulouse.


Vitesse commerciale plus faible = plus de véhicules = plus de personnel

La première raison qui explique le besoin en personnel plus fort à Bordeaux qu’à Toulouse réside dans l’impuissance de Bordeaux Métropole à respecter les objectifs de vitesse commerciale assignés aux infrastructures mises en service. Lors des deux premières phases, il était prévu que le tramway circulerait à 21km/h. Cette vitesse n’a jamais été atteinte. Pis encore, elle ne cesse de diminuer alors même que le réseau s’étend dans des environnements moins contraints. Le rapport de Keolis rappelle que « les vitesses réelles d’exploitation pour [l’] antenne de Blanquefort et la ligne D [sont] sensiblement inférieures à celles qui avaient été décrites dans le projet » (p. 77).

...pour tenir les fréquences, il faut injecter davantage de bus et de tramways. Or ces véhicules, il faut les faire rouler et les entretenir.

Il est parfois reproché à l’association de se focaliser sur la vitesse commerciale. Mais des lignes plus lentes que prévu, cela ne signifie pas seulement des déplacements plus longs pour les usagers. Cela a aussi pour conséquence de renchérir l’exploitation du réseau puisque, pour tenir les fréquences, il faut injecter davantage de bus et de tramways. Or ces véhicules, il faut les faire rouler et les entretenir. Un tel réseau est par conséquent plus sensible aux pénuries de conducteurs et de mécaniciens. Au contraire, le métro de Toulouse a parfaitement rempli ses objectifs en termes de vitesse commerciale.


Réseau saturé = plus de véhicules = plus de personnel

La seconde raison à la sensibilité plus élevée du réseau bordelais à la pénurie de personnel est à rechercher dans la saturation du réseau de tram et de bus. Dans un précédent article, nous rappelions que « la déclaration d’utilité publique [du tramway] envisageait une fréquentation de 4 500 voyageurs par heure en heure de pointe sur les lignes A et B et de 3 000 voyageurs par heure en heure de pointe sur la ligne C.

Pour répondre à cette demande mal anticipée, il a été nécessaire de renforcer la fréquence du tramway, ce qui implique de faire rouler et d’entretenir plus de rames

En 2009 déjà, ces chiffres étaient largement dépassés avec 6 300 voyageurs à l’heure de pointe sur la A, 5 800 sur la B et 3 500 sur la C. […] La situation n’a évidemment cessé de se dégrader puisque, en 2012, 8 000 voyageurs étaient comptabilisés à l’heure de pointe sur la ligne A, 7 000 sur la ligne B et 4 200 sur la ligne C. C’est respectivement 78 %, 56 % et 40 % de plus que les prévisions. »** Pour répondre à cette demande mal anticipée, il a été nécessaire de renforcer la fréquence du tramway, ce qui implique de faire rouler et d’entretenir plus de rames, 130 à ce jour. Le métro de Toulouse quant à lui réalise plus de kilomètres chaque année avec moins de rames ! C’est autant de véhicules à ne pas entretenir.


Réseau en surface = conflits d’usage = conducteurs indispensables

Bien sûr, la troisième raison qui explique le nombre plus élevé de conducteurs à Bordeaux est la plus importante. Quand Bordeaux mise sur un réseau de bus et de trams évoluant au milieu des autres usagers de la rue grâce à la vigilance constante de conducteurs, Toulouse a misé sur un métro, qui roule sur un site propre intégral et qui peut dès lors être automatique. Près de 30% des kilomètres produits sur le réseau de transport en commun toulousain sont ainsi réalisés sans conducteur quand il y a un conducteur derrière chaque kilomètre réalisé par les transports en commun à Bordeaux.


** https://www.metrobordeaux.fr/post/20-ans-du-tram-je-t-aime-moi-non-plus


Un réseau pourtant pas plus grand qu'ailleurs

Il serait tentant de penser que le réseau de Bordeaux est sensiblement plus grand que le réseau de Toulouse pour expliquer le besoin plus important en conducteurs et en techniciens. C’est d’ailleurs ce qui a été affirmé lorsque nous avons pointé du doigt la différence entre Bordeaux et Toulouse.

...à Toulouse, les véhicules réalisent 38,5 millions de kilomètres. À Bordeaux, ce n’est que 32,7 millions de kilomètres.

En réalité, il n’en est rien. C’est peut-être même l’inverse ! D’abord le périmètre des transports en commun toulousain couvre 108 communes contre… 28 pour le réseau TBM ! S’il fallait encore convaincre que TBM n’a pas le plus grand réseau, à Toulouse, les véhicules réalisent 38,5 millions de kilomètres. À Bordeaux, ce n’est que 32,7 millions de kilomètres. Force est par conséquent de constater que la taille du réseau bordelais ne peut pas justifier la différence de près de 500 conducteurs avec les transports en commun toulousains. Ce sont les (non-)choix de Bordeaux Métropole qui confrontent quotidiennement les usagers à la difficulté de recruter. Mais il est sans doute plus confortable de balayer les comparaisons avec d’autres réseaux, de taille comparable, sur la base d’erreurs manifestes d’appréciation que d’interroger ses (non-)choix.


Attirer des conducteurs ? Mission difficile…

Attirer davantage de conducteurs et mieux les retenir en leur offrant des conditions de travail bien meilleures est donc un enjeu particulièrement fort à Bordeaux. Mais cela renchérira l’exploitation et la pression sur les contribuables et sur les usagers. Et surtout, ce n’est pas toujours possible.

« C’est plus stressant de circuler désormais dans l’agglomération avec les vélos, les trottinettes et les couloirs de bus partagés. »

Comment par exemple séduire des conducteurs en leur promettant des conflits d’usage en pagaille avec les piétons et les cyclistes faute d’infrastructures adaptées, avec la perspective de se retrouver affichés sur les réseaux sociaux au moindre écart ? Les conducteurs confirment cette pression constante : « C’est plus stressant de circuler désormais dans l’agglomération avec les vélos, les trottinettes et les couloirs de bus partagés. »*** Certains comportements sont inacceptables face à des usagers de la rue prioritaires et fragiles de plus en plus nombreux, mais on oublie que, parfois, les aménagements métropolitains sont directement à l’origine de ces tensions. On ne peut pas ne pas mentionner ici les couloirs de 3 mètres de large que le futur bus express entre la gare Saint-Jean et Saint-Aubin partagera avec les cyclistes et que l’association ne cesse de dénoncer (malgré le silence assourdissant d’autres acteurs sur la question). Les conditions de travail des conducteurs étant ce qu’elles sont, les usagers sont la variable d’ajustement pour gérer la pénurie, avec des départs non assurés et des fréquences diminuées.


*** https://france3-regions.francetvinfo.fr/nouvelle-aquitaine/gironde/bordeaux/manque-de-conducteurs-et-de-techniciens-de-maintenance-le-trafic-des-transports-en-commun-sous-pression-a-bordeaux-2909579.html

Une situation qui ne va pas s'arranger

Le manque de conducteurs affecte particulièrement le réseau bordelais parce qu’il ne repose que sur des modes évoluant en surface, donc lents et non automatiques. Plutôt que de tirer tous les enseignements de ses choix passés et d’investir enfin dans un métro automatique qui permettrait de diminuer les tensions sur le réseau de bus et de tram, Bordeaux Métropole entend plutôt continuer à tout miser sur la surface en multipliant les lignes de bus dites express.

Ces lignes de bus, qui ne seront express que sur le papier et dans les beaux discours d’inauguration, supposeront de nombreux recrutements supplémentaires alors que les métiers n’attirent plus...

Alors que l’opérateur n’a déjà pas suffisamment de conducteurs pour faire circuler le réseau actuel comme prévu, alors que les syndicats proposent même de réduire les fréquences sur le réseau afin de mieux l’ajuster aux moyens disponibles, Keolis et Bordeaux Métropole proposent la création de deux nouvelles lignes de tramway pour porter la fréquence à deux minutes et trente secondes. Vu les difficultés actuelles, la promesse est certes séduisante, mais intenable comme nous le démontrions déjà dans un précédent article****. On s’étonne d’ailleurs de ce qu’aucun élu ne s’en est encore ému. De plus, le schéma des mobilités de Bordeaux Métropole voté en 2021 envisage lui la mise en service de 7 lignes de bus dites express. Ces lignes de bus, qui ne seront express que sur le papier et dans les beaux discours d’inauguration, supposeront de nombreux recrutements supplémentaires alors que les métiers n’attirent plus et que la situation paraît durable.


L’inauguration du bus express entre la gare Saint-Jean et Saint-Aubin, qui participe au besoin de recrutement de 245 conducteurs rien qu’en 2024, est un aperçu des difficultés qui attendent la Métropole et, surtout finalement, les usagers. Ce bus express étant très consommateur de main d’oeuvre alors que l’opérateur peine à recruter, où seront puisés les conducteurs manquants sinon sur les lignes existantes, qui enregistreront toujours plus de départs non assurés ? Mais là aussi, la vice-présidente se veut rassurante : cela a bien été anticipé, « normalement ». Vu la façon dont la vitesse commerciale et la fréquentation du tramway ont été anticipées, vu l’incapacité à apprendre des autres réseaux de taille comparable, il y a en réalité tout lieu de s’inquiéter.


**** https://www.metrobordeaux.fr/post/keolis-miracles


 
 
 

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